Thugga / Dougga
De l’agglomération libyco-numide TBGG
à la colonie romaine

, par Véronique Brouquier-Reddé

Thugga / Dougga (Tunisie), site inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO (1997), est une cité emblématique des périodes punique, numide, romaine et de l’Antiquité tardive (IVe s. av. J.-C. - VIe s. ap. J.-C.)


Coopération franco-tunisienne INP-AOrOc

Évolution du site

La ville de Thugga est célèbre pour l’importance de ses vestiges romains, mais son passé punico-numide (IIIe s. av. J.-C. - 46 ap. J.-C.) est extrêmement mal connu, à l’exception du célèbre mausolée d’Atban.
. L’agglomération libyco-numide comprend des édifices publics à caractère commémoratif ou cultuel, identifiés sur l’agora ou non loin, un secteur qui a livré des inscriptions libyques ou bilingues (libyque et punique). L’habitat est attesté très ponctuellement sur le flanc sud. La nécropole mégalithique s’étend sur le plateau septentrional. Les tombes numides sont implantées entre les dolmens. Au sud le célèbre mausolée dit libyco-punique d’Atban, à trois étages, est daté du IIe s. av. J.-C. par une inscription bilingue (libyque et punique). Au nord-est, l’aire cultuelle de Ba’al Hammon livre un mobilier votif riche et abondant.

 

Fig. 1 - L’agglomération punico-numide (AOROC/INP)


. À partir d’Auguste, mais surtout sans doute sous Tibère, de nouveaux quartiers de cette communauté double (pagus et civitas) sont créés et empiètent sur les espaces périphériques de l’agglomération initiale. Il est actuellement difficile d’évaluer la superficie de la ville sous les Julio-Claudiens, les Flaviens ou les Antonins.


. La superficie de la ville sous les Sévères est évaluée à 70 ha avec l’extension de l’habitat, en particulier au sud-ouest et au nord-est. Les arcs de Septime Sévère (205) au sud-ouest et de Sévère Alexandre (232) à l’ouest marquent la limite de la zone urbaine du municipe sous les Sévères, les limites au nord et à l’est sont marquées par la topographie naturelle. Thugga devient une colonie en 261. Les cinq nécropoles du Haut-Empire (datées entre 50 et 300), les trois grands réservoirs de stockage à cpmpartiments multiples et les aqueducs à l’ouest, le cirque et quelques sanctuaires périurbains entourent la ville. La surface incluant la ville et les nécropoles s’étend sur 86,40 ha.

 

Fig. 2 – La ville romaine (AOROC/INP)


. Après leur abandon, les monuments publics furent démontés, puis réutilisés dans la construction de l’église de Victoria ou dans celle de la forteresse byzantine (VIe s. ap. J.-C.), ce qui modifia le plan et l’organisation de la ville qui fut très tardivement dotée d’une enceinte qui réduisit sa superficie, sans doute à l’époque arabo-musulmane.

 

Fig. 3 – La ville réduite (AOROC/INP)

De l’agglomération libyco-numide TBGG à la colonie romaine : dynamiques urbaines

L’objectif de ce programme est donc d’étudier cette période ancienne en explorant les franges urbaines de l’agglomération, moins oblitérées par les constructions ultérieures, afin d’en mieux appréhender le processus de développement et de transformation dans la longue durée.
 
Collaboration de recherche franco-tunisienne (2016-2024) : Institut National du Patrimoine, Tunis, ENS, CNRS, AOROC
Samir Aounallah, directeur de recherches à l’INP
Véronique Brouquier-Reddé

Soutiens : Cette opération a reçu le soutien de l’INP (Tunis), de l’ENS (laboratoire d’excellence TransferS, puis AOROC et DSA), du CNRS (soutien à la mobilité internationale 2020-2021), de l’Institut culturel français de Tunis (IFT), du partenariat tuniso-français Hubert Curien (PHC Utique 2018-2021), et du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères (MEAE) depuis 2020 ; elle bénéficie aussi de l’appui des équipes d’Aix-en-Provence (CCJ-AMU), de Brest (CRBC, Université de Bretagne occidentale), de Rennes (UMR 6566, CReAAH) et du Museum d’Histoire naturelle de Paris (MNHN). En 2022, l’Arab-German-Academy (AGYA) a retenu le projet tuniso-franco-allemand « Multidisciplinary Approaches to Ancient DNA for the Archaeological Site of Dougga in Tunisia ».

Le plan topographique et les vues de drone. Le plan topographique, réalisé par le service topographique de l’INP, a permis d’élaborer des plans thématiques des différentes catégories de monuments, mieux visibles sur les vues de drone.

Les campagnes de fouilles et d’études. Au cours des huit campagnes de terrain réalisées entre 2017 et 2022, l’équipe tuniso-française a exploré la périphérie nord de Thugga, en particulier la nécropole mégalithique et romaine du Nord-Ouest, le cirque, le sanctuaire de Minerve II et le sanctuaire de Baal Hammon - Saturne implanté en contrebas de l’extrémité nord-est de la falaise. La recherche a été étendue au sanctuaire dit Gherg Jnène en limite occidentale de la ville. Des prospections-enquêtes concernent aussi le décor architectonique des monuments et les carrières.

Les espaces funéraires préromains. L’ensemble des monuments funéraires préromains de TGBB / Dougga (dolmens, bazinas, tombes quadrangulaires) a été recensé, en particulier ceux de la nécropole du Nord-Ouest. L’examen des céramiques préromaines et de la collection numismatique confirme la présence d’une occupation, dès le IVe s. av. J.-C., dans cet espace.

Parmi les tombes de forme circulaire, la bazina 55, la mieux conservée, est divisée en quatre chambres dont le remplissage est constitué d’amas osseux humains, de dépôts de céramiques modelée ou tournée et de monnaies (IIIe s. - milieu du IIe s. av. J.-C.). La fouille archéo-thanalogique et l’approche multidisciplinaire apportent une multitude de données sur les pratiques funéraires à inhumations collectives qui associent périnataux, immatures et adultes. Des analyses ADN ancien des échantillons sont effectuées au laboratoire Max Planck à Leipzig (Allemagne) en collaboration avec l’Institut Pasteur de Tunis (Fondation AGYA 2022 WGP Heritage 01).

 

Fig. 4 - La bazina punico-numide 55 : une chambre principale et trois chambres latérales renfermant des sépultures plurielles (2018, AOROC/INP)

En contrebas de la bazina, un mausolée turriforme, identifié par son soubassement à gradins (crépis) et les blocs de son élévation dont un chapiteau d’angle éolique, correspond à une réplique, d’un module plus petit, du célèbre mausolée libyco-numide de la nécropole du Sud.

 

Fig. 5 – Le mausolée numide de la nécropole du Nord-Ouest (AOROC/INP)

L’espace funéraire romain. La nécropole du Nord-Ouest, bien qu’en partie détruite par l’exploitation des carrières et l’implantation du sanctuaire de Minerve II (138-161) et du cirque (225), a continué d’être fréquentée jusqu’au deuxième ou troisième tiers du IIIe s. apr. J.-C., voire le IVe s. d’après le mobilier céramique et numismatique. Pour la première fois à Thugga, voire en Afrique, les données anthropologiques de deux crémations déposées dans des marmites-urnes ont été confrontées à l’âge indiqué sur les épitaphes de stèles et montre une discordance.

L’aire cultuelle à ciel ouvert de Baal-Hammon – Saturne : identification de périnataux et de jeunes caprinés. Des cruches cinéraires contenant des ossements brûlés, découvertes in situ dans l’aire sacrée (phase 1) atteste l’existence de crémations de périnataux entre 7 mois in utero et 2 mois après la naissance, associées à de jeunes caprinés et des offrandes végétales jusqu’en 80 apr. J.-C. Ce résultat est également une première attestation, dans le cas de Thugga, de la présence de restes humains. L’étude pluridisciplinaire des stèles votives qui marquent l’emplacement des dépôts cinéraires, présentent des traces de polychromie visibles à l’œil nu (rouge) ou révélées à la lumière blanche.

 

Fig. 6 – Stèle décorée du signe dit de Tanit et urne cinéraire placée devant (AOROC/INP)

L’analyse architecturale du sanctuaire de Saturne, fondée sur les nouveaux résultats du sondage implanté dans la cour à la suite des travaux de A. Merlin et Cl. Poinssot, et les indices de remaniement, distinguent au moins cinq grandes phases depuis l’aire sacrée jusqu’au démontage des élévations du dernier état.

L’étude des collections du site. Les interventions sur le terrain sont couplées à des enquêtes sur les collections anciennes du site : l’épigraphie, la sculpture, le décor peint ou en stuc, la numismatique, les céramiques préromaine et romaine afin d’élaborer des typo-chronologies du faciès des importations et des productions locales ou régionales, étayées par des analyses archéométriques en collaboration avec l’Office des Mines de Tunis ou avec le Dipartimento di Scienze della Terra, dell’Ambiente e della Vita (DISTAV) de l’université de Gênes.

Formation et échange. Un important volet formation destiné aux étudiants, doctorants et postdoctorants tunisiens et français a été développé, dans le cadre du PHC Utique (2018-2021), en organisant les stages sur le terrain et les 11 séjours doctoraux d’un mois en bibliothèque à l’ENS Paris. Trois thèses de doctorat portent sur TGBB/ Thugga. Le transfert des compétences aux doctorants, conservateurs du patrimoine et agents aux techniques de l’archéologie, de la gestion des collections et à la conservation du mobilier est assuré par les spécialistes de l’équipe. Des séjours de chercheurs ont eu lieu à Bordeaux (PHC Utique) ou sur invitation de l’ENS Paris (AOROC, DSA).

Livre de valorisation. Le livre collectif Splendeurs de Dougga (Tunisie), de la cité royale à la colonie romaine retrace, à partir des résultats de ces trente dernières années, l’histoire et la vie quotidienne de TBGG/ Thugga/ Dougga depuis l’origine de l’occupation du site jusqu’à l’époque aghlabide.

Études d’architecture religieuse

Thugga constitue un site de référence dans la connaissance de la topographie religieuse des provinces romaines. Dix-huit sanctuaires païens connus et édifiés depuis l’époque numide jusqu’à la fin de l’Antiquité ont été réexaminés dans le cadre de ce programme franco-tunisien (1997-2015) sur la trentaine recensée à ce jour. L’évolution du centre monumental a été analysée dans le cadre de cette recherche.
La publication scientifique de ces monuments publics a permis de préparer le dossier de mise en valeur et d’améliorer leur présentation, de protéger les vestiges, de les consolider, de les intégrer dans le circuit touristique (Fonds de Solidarité Prioritaire Dougga et sa région, Tunisie n°2002-16, 2006-2008). Ce fut le cas du forum, du théâtre et de la cour du sanctuaire dit Dar Lacchab. Les inscriptions monumentales furent rassemblées dans chaque monument d’origine.
 
Collaboration de recherche franco-tunisienne (1997-2015) : INP, Ausonius, AOROC
 

Pour en savoir plus

  • Aounallah S., Brouquier-Reddé V., Chehidi M.-A., Golvin J.-C., Maurin L. (2022), Splendeurs de Dougga (Tunisie), de la cité royale à la colonie romaine, Sousse, 360 p. [voir en ligne]
  • Cuzel P. (2022), Les deux metae du cirque de Thugga : nouvelle lecture, AntAfr 58, p. 35-48. [voir en ligne]
  • Aounallah S., Brouquier-Reddé V., Abidi H., Maligorne Y., Sghaïer Y., Hafiane-Nouri S., Poupon F, Artru J, Ben Slimène H., Dammak-Latrach O., Touj F. (2021), Dougga numide : les avancées de la recherche depuis 1979, in : M. Khanoussi, M. Ghaki éd., L’exposition ʺDie Numider 40 ans aprèsʺ, Bilan et perspectives des recherches sur les Numides, Actes du colloque international, Tunis, 27-29 novembre 2019, Tunis (INP), p. 321-349. [voir en ligne]
  • Aounallah S., Brouquier-Reddé V. dir. (2020), Dossier Dougga, la périphérie nord (résultats des campagnes 2017-2019), AntAfr 56, 175-275. [voir en ligne]
  • Aounallah S., Brouquier-Reddé V., Ben Romdhane H., Chérif A., Cuzel P. (2021), Les spécificités de la topographie et de l’architecture cultuelle de Dougga, in : L. Ben Abid, F. Prados, M. Grira éd., De Carthage à Carthagène. Bâtir en Afrique et en Ibérie durant l’Antiquité, Alicante, université d’Alicante, Instituto de Arqueología y Patrimonio Histórico (Petracos 4), 437-476. [voir en ligne]
  • Aounallah S., Golvin J.-Cl. (dir.), Ben Romdhane H., Brouquier-Reddé V., Chehidi M. A., Ghaki M., Khanoussi M., Maurin L., Saint-Amans S. (2016). Dougga, Études d’architecture religieuse, 2. Les sanctuaires du forum, du centre de l’agglomération et de la Grande rue courbe, Bordeaux, Ausonius Mémoires 42, 622 p., 5 plans HT. [voir sommaire en ligne]
  • Golvin J.-Cl., Khanoussi M. (dir.), Brouquier-Reddé V., Hosni N., Khaldi H., Karoui K., Maurin L., Saint-Amans S. (2005). Dougga, Études d’architecture religieuse. Les sanctuaires des Victoires de Caracalla, de « Pluton » et de Caelestis, Bordeaux (Ausonius, collection Mémoires 12), 214 p., 200 fig., 2 dépliants.

 

Vidéo du compte Facebook de M. Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur de France en Tunisie, à propos de ce programme de coopération franco-tunisien sur le site de Dougga (Tunisie) :