Les nécropoles dites
« cimetières des officiales » de Carthage

Resp. Pauline Cuzel (École française de Rome, AOrOc)

, par Agnès

Introduction

Situés près de l’amphithéâtre de Carthage (fig. 1), en dehors de l’aire cadastrale urbaine de la ville, les cimetières des officiales de la capitale de l’Afrique proconsulaire constituent, pour quiconque s’intéresse à l’administration des provinces impériales sous le Haut-Empire, un dossier incontournable. En effet, et ils sont identifiés comme tels quasiment dès leur découverte, ils rassemblent plus d’un millier d’individus dont une large part appartient à la familia Caesaris et dont un nombre important indique une fonction dans l’administration de la province. Cette homogénéité sociale se double d’une relative homogénéité chronologique puisque l’ensemble des inscriptions semble pouvoir être daté de la fin du Ier au début du IIIe siècle ap. J.-C. La découverte est saluée comme majeure, dès la découverte du premier des deux sites en 1880.

Fig. 1. Fig. 1. Carte archéologique et topographique des ruines de Carthage, dressée d’après les relevés de M. L’Adjoint du Génie Bordy, avec le concours de MM. Le R.P. Delattre, correspondant de l’Institut, le général Dolot, ancien chef du génie de Tunis, P. Gauckler, correspondant de l’Institut ; échelle 1/5.000, 1907 (détail) - © gallica.bnf.fr / Archives et bibliothèques Pau Béarn Pyrénées.

Pourtant aussi connu que soit cet ensemble, aussi exceptionnel qu’il ait été reconnu dès sa découverte (fig. 2), force est de constater que nous savons, en réalité, peu de choses sur l’organisation des espaces funéraires dont il provient. Bien plus, ces inscriptions, qui sont sans cesse convoquées dans les études administratives ou dans les analyses de démographie du monde romain, nous sont en réalité mal connues : aucune étude n’a été consacrée à leurs conditions exactes de leur découverte et à l’histoire de leur conservation, aucune synthèse épigraphique d’ampleur ne les a rassemblées depuis la publication du Corpus Inscriptionum Latinarum (CIL), aucune analyse n’a cherché à les replacer, dans leur ensemble, dans la topographie administrative de Carthage et de la province d’Afrique proconsulaire.

Fig. 2. Vue d’un groupe de tombes du premier cimetière (Bir-ez-Zitoun). Dessin du marquis d’Anselme de Puisaye, d’après Delattre 1899, p. 215.

Un programme en deux axes

- Le nouveau corpus des inscriptions de Carthage (Resp. : S. Aounallah (INP) ; P. Cuzel (EFR, AOrOc)

Les inscriptions des deux cimetières des officiales constitueront le premier volume de la nouvelle publication conjointe et collective des inscriptions latines païennes de Carthage. L’ensemble n’a jamais fait l’objet d’une étude exhaustive depuis la publication du volume VIII du Corpus Inscriptionum Latinarum et ce, en dépit de nombreuses découvertes récentes et de différents programmes de recherche toujours en cours. Les travaux de Leïla Ladjimi Sebaï (Index général des inscriptions latines païennes de Carthage, Tunis, 2001) en collaboration avec Zeïneb Ben Abdallah (Catalogue des inscriptions latines païennes inédites du musée de Carthage, Rome, 2011) ont contribué à une meilleure connaissance des inscriptions conservées dans les musées de la ville mais ne rendent pas pleinement compte de l’ensemble du corpus carthaginois largement dispersé tant dans différents dépôts archéologiques et musées à Carthage et à Tunis que dans des musées étrangers et dont une part des inscriptions est aujourd’hui non localisable. Le programme présenté ici s’inscrit dans la lignée des travaux récents réalisés, entre autres, par Abdelmagid Ennabli d’analyse de l’histoire des découvertes du site et de recension des publications anciennes. La carte archéologique qu’il a récemment publiée (Carthage, « les travaux et les jours », recherches et découvertes, 1831-2016, EAA 43, Paris, 2020) rend compte de plus d’un siècle et demi de recherches sur la capitale d’Afrique proconsulaire et ouvre la voie pour une nouvelle étude du matériel épigraphique qui viendrait compléter ce tableau des travaux archéologiques menés à Carthage depuis 190 ans.
 Le musée de Carthage (fig. 3), premier lieu de conservation pour les inscriptions des deux sites dès leur sortie de terre, conserve encore aujourd’hui près de 525 inscriptions provenant de la nécropole (sur un total de près de 2200 inscriptions latines encore identifiables dans les réserves).
Le reste de la collection se trouve pour partie au musée du Bardo (21 inscriptions), déposée après les dégagements opérés par Paul Gauckler. Une série de missions sur le terrain (dont la dernière a eu lieu en novembre 2021) vise à proposer une nouvelle étude autoptique de l’ensemble du matériel encore identifiable dans les réserves des deux musées tunisiens. Par ailleurs, le projet comporte un important volet de formation et l’accueil d’étudiants franco-tunisiens est prévu dans le cadre des missions d’étude de matériel pour les former aux relevés épigraphiques et à la rédaction de fiches normalisées pour la publication de corpus.

  • Convention franco-tunisienne (2021-…) : INP, ENS, AOrOc, EFR
  • Samir Aounallah, directeur de recherches à l’INP
  • Pauline Cuzel, École française de Rome, UMR 8546-AOROC

- Une archéologie de papier : recontextualiser les inscriptions à partir des archives (Resp. : P. Cuzel (EFR, AOrOc)

Le site a été découvert par un Père Blanc Alfred Louis Delattre, missionnaire envoyé à Carthage par l’archevêque d’Alger. Chargé de gérer le dispensaire du poste missionnaire, il est souvent rémunéré en pièces archéologiques et développe un véritable goût pour la découverte de l’ancienne Carthage. En 1880, on lui rapporte la découverte fortuite d’inscriptions mentionnant des esclaves et des affranchis impériaux, il ordonne des fouilles sur le lieu de la découverte et met au jour le premier cimetière des officiales. L’année suivante, c’est une seconde zone de sépultures qui est découverte, distante d’environ 150 m de la première et close de murs. Sur les deux sites, les dégagements se poursuivent pendant près d’une trentaine d’année à un rythme irrégulier, sous la houlette de Delattre. Plus de 900 inscriptions sont mises au jour et rejoignent les collections du musée tenu par les missionnaires sur la colline de Byrsa ou bien d’autres musées situés à l’étranger, au gré de ventes comme le Louvre.
En 1895, le directeur des Antiquités tunisiennes, Paul Gauckler tente de reprendre la main sur le site tenu par les Pères Blancs, mais ne parvient à dégager qu’une vingtaine d’inscriptions aujourd’hui conservées au musée du Bardo. 
L’ensemble du matériel est repris dans le CIL, mais sans tenir compte des observations de contexte données par les premiers découvreurs. À partir de l’étude des fonds d’archives aujourd’hui dispersés en Europe, ce second axe vise à proposer une restitution du contexte de découverte des inscriptions en reconstituant leur emplacement de découverte initial et en les réassociant au matériel (céramique, lampes, verre, urnes, monnaies) découvert à proximité.
Projet post-doctoral mené par P. Cuzel (École française de Rome) : 2020-2023.

Perspectives

L’objectif de ces deux volets est la publication d’un nouveau corpus à jour des inscriptions découvertes sur les deux sites des officiales. Ce travail se verra complétée par l’analyse, en collaboration avec les musées européens qui le conservent, du matériel dispersé par les ventes opérées par les Pères Blancs eux-mêmes au moment de la découverte. Est ainsi prévue l’étude des 123 inscriptions provenant des fouilles toujours déposées au Louvre, ainsi que le recensement des inscriptions isolées dans les collections de musées locaux en France et en Italie

Pour en savoir plus

P. Cuzel, « Un nouveau corpus pour les officiales de Carthage », poster présenté lors du Congrès international d’épigraphie grecque et latine, Bordeaux, 29 août-2 septembre 2022.

S. Aounallah, P. Cuzel, « Carthage : corpus des inscriptions latines païennes », Chroniques d’archéologie maghrébine, 2022, p. 155-156.

 

Fig. 3. Vue de la cour du musée de Carthage avec, en arrière-plan, l’ancienne cathédrale de Byrsa, fondée par les Pères Blancs - © Pauline Cuzel.