Axe 1. Présentation

, par Goddard

Responsables : Anca Dan & Daniel Petit

Cet axe vise à explorer les différentes formes d’interactions culturelles qui fondent les relations entre les groupes humains dans les mondes antiques et médiévaux, depuis l’Afrique du Nord et l’Europe occidentale jusqu’à l’Egypte, au Proche-Orient et à l’Asie centrale, ainsi que leur réception dans les périodes ultérieures.


Langues et identités
L’analyse des facteurs d’identité collective tels que la langue, la mémoire partagée et les pratiques culturelles constitue le point d’ancrage central de cet axe. Si l’Antiquité se caractérise par une très grande diversité des langues et des dialectes, qui ne correspondent pas toujours à des Etats constitués ni à des territoires clairement délimités, il reste que la langue est la condition fondamentale de l’ethnos et sert de vecteur à l’expansion d’un pouvoir. Malgré la parenté de beaucoup de ces langues en raison de leur préhistoire indo-européenne ou sémitique commune, chacune d’entre elles est perçue comme marque d’une identité spécifique, nettement distincte des autres. L’organisation de l’identité collective par les détenteurs de l’autorité et du contrôle politique conduit à s’interroger sur les processus de construction territoriale et sur les structures sociales qui lui sont associées.

Territoires et mobilités
Le territoire, en tant qu’espace socialement et politiquement investi, et ses confins, en tant qu’espace de démarcation, mais aussi de transition, plus ou moins bien définis, sont les lieux où se manifeste l’identité collective perçue dans ses diverses dimensions. On s’interrogera sur la place et le rôle des individus et des communautés au sein de ces espaces, avec un regard particulier sur les questions de mobilité et de transfert. Le récit de flux migratoires égrené au fil des sources historiques apparaît en effet comme un des moteurs du dynamisme des sociétés anciennes. La recherche de meilleures conditions de vie et la quête de nouvelles terres et ressources, voire une mobilité consubstantielle d’un mode de vie (peuples nomades), justifient ces déplacements négociés, forcés ou subis qui modifient les sociétés indigènes, leurs langues et leurs pratiques. Les approches philologiques et archéologiques restent souvent démunies pour en saisir la réalité, et la mise en évidence des différentes populations à partir de sources matérielles ou écrites considérées comme caractéristiques d’une aire géographique déterminée n’emporte pas toujours l’adhésion (migrations indo-européennes, iraniennes, celtiques, etc.). La mobilité en dehors d’un territoire ou d’une communauté humaine n’est pas seulement collective, mais également le fait d’individus ou de groupes restreints (artisans spécialisés, trafiquants / négociants, mercenaires, ambassadeurs, esclaves, otages, mais aussi précepteurs, architectes, artistes). La mobilité est également sociale et se traduit par l’accès aux strates supérieures d’individus nouveaux, à l’élargissement des cercles élitaires (ou au contraire à une restriction de sa base de recrutement) ou encore à un déclassement (jusqu’à la servitude).

L’étude des formes de l’identité collective, envisagée dans le cadre transculturel et transdisciplinaire qui est le nôtre, vise à faire dialoguer linguistes, philologues, archéologues et historiens, et à produire des modèles descriptifs et explicatifs applicables à la longue durée, y compris aux questionnements modernes qui en dérivent. Cela suppose des réflexions en commun, sur le vocabulaire employé et sur les échelles d’analyse temporelles et spatiales.

Modes d’organisation collective
Les sociétés historiques et protohistoriques au cœur de notre questionnement fournissent un cadre privilégié pour l’étude des facteurs de l’identité qui ont structuré les hommes et les territoires. La variabilité des situations envisagées dans cet espace dilaté et le temps long se traduit par une diversité des modes d’organisation politique et socio-culturelle. Les entités également qualifiées par les termes de clan, ethnie ou peuple, désignent des regroupements se réclamant d’une origine commune, composées d’unités autonomes fondées sur la perception d’une communauté d’origine et présentant une certaine homogénéité tant linguistique et culturelle que politique ; c’est le type d’organisation qui prévaut dans la plupart des sociétés néolithiques et protohistoriques de notre aire d’étude (sociétés agraires en Europe atlantique et méditerranéenne, Europe celtique, monde des steppes). L’Etat, en tant que cadre ultérieur de l’identité collective, désigne une forme d’organisation politique souveraine, civile et militaire, éventuellement religieuse, à laquelle est soumise une population vivant sur un territoire donné. On reconnaîtra derrière ce vocable des formes très différentes, tant par leur structuration sociale (royaumes pharaoniques, hellénistiques, gréco-bactriens, numides et maures ; cités-états grecques et étrusques ; états-peuplades celtiques) que par la nature du régime (oligarchique, monarchique) et la mise en place d’une administration plus ou moins développée. Dans cette optique, à travers l’histoire politique et sociale des entités étudiées, on se propose d’analyser les différentes formes d’interactions linguistiques, sociales, économiques, religieuses et artistiques qui fondent l’identité collective et ses représentations, en croisant sources archéologiques et textuelles. Cette réflexion nous conduira, par exemple, à nous interroger sur la composition des élites (souverains, noblesses, citoyens ou statut d’homme libre) par opposition au statut de dépendants (étrangers, non-libres, esclaves) et sur les dynamiques sociales qui conduisent à promouvoir certains individus ou à leur déclassement, ou encore l’assimilation et la transformation des élites déchues à la suite de conquêtes.

Structurations de l’espace et de la société
Une des approches majeures au sein de l’axe porte sur les rapports structurels, sociaux et économiques, avec les agglomérations et les terroirs environnants, ainsi que sur les espaces de démarcation et de transition, limites et frontières, matérialisées ou non par des fortifications, ou encore à ces espaces de pouvoir ouverts, ces espaces purs, ces pâturages, désencombrés des marques sédentaires, habités des peuples nomades. Le territoire, comme un espace structuré ou comme un espace ouvert, est à la fois objectivement organisé et culturellement inventé. Il pérennise la présence des ancêtres (tombeaux) et légitime celle des vivants. Aux communautés nomades qui transforment le monde en pâturage s’oppose l’univers sédentaire qui découpe et marque l’espace, distinguant espaces publics et privés (aménagement du territoire, cadastration, articulation et fonctionnement des espaces ruraux, urbains et péri-urbains) tout en gérant l’exploitation des ressources naturelles. L’étude historique et géo-archéologique des paysages antiques avec l’intégration de techniques d’analyses non destructives (aérien, LIDAR, géophysique) permet d’aborder l’étude du territoire sur de grandes échelles comme dans le cadre des PCR Berry et Sarthe, en Gaule, le territoire de Bomarzo en Etrurie, ou les régions du Bosphore et de l’Asie centrale. Les espaces de circulation, déterminés par la nature des territoires (terrestres ou maritimes), constituent les vecteurs qui révèlent les interactions entre les communautés et façonnent les identités. On s’intéressera aussi à la gestion des ressources naturelles et leur diffusion au sein des territoires (par exemple l’eau dans les villes et les campagnes du Maghreb antique, etc.). Le développement des outils numériques tels que Chronocarto (par exemple l’Atlas de l’Âge du Fer) permettra de travailler en réseau, de cartographier des sites ou des territoires, avec un vaste choix de fonds de cartes.

Sources et interprétations
L’analyse s’appuie sur toutes les formes de la documentation disponible (textes, objets, constructions) en tant qu’elles révèlent des identités spécifiques, linguistiques et sociales, associées à des langues, des pratiques culturelles et des territoires. Toutes ces sources prennent leur valeur non seulement dans leur contexte d’origine, mais aussi par leur circulation au sein des territoires et des communautés, voire à l’extérieur de celles-ci. Elles témoignent de l’organisation de pouvoirs collectifs, dont elles constituent souvent les marques de représentation. Cette analyse s’étendra aussi aux conditions qui ont rendu possible leur transmission à l’époque moderne et à la réception qui en est faite.

Ces thèmes seront discutés à l’occasion du séminaire de recherche régulier « Géographie historique et géoarchéologie » et d’une journée annuelle.